Hermann et Gabrielle : Lettres du front macédonien
Publié le 25 Août 2014
Cette année nous fêtons le centenaire du début de la "Grande Guerre" 1914-1918.
Je ne vais pas vous faire un cours d'histoire, mais à cette occasion j'ai ressorti du fond de mes tiroirs un trésor que je garde précieusement.
Pour tout vous dire j'ai eu une grand-grand-tante (en bref la tante de mon grand-père) qui a fait office de Mamie et chez qui j'ai passé beaucoup de temps quand j'étais enfant, puis adolescente.
Lorsque j'étais chez elle, je passais beaucoup de temps au milieu des vieux magazines (l'Echo de la mode, Bonnes soirées.........) et à l'occasion je rêvais devant les vieilles cartes postales qu'elle conservait dans une grande boîte en fer.
Et c'est comme ça que je suis tombée sur des cartes qui lui avaient été envoyé pendant la guerre.
Ces cartes ayant éveillé ma curiosité, Tata Gaby, comme on l'appelait, m'avait expliqué qu'elle avait été "marraine de guerre" d'un compagnon d'armes de son beau-frère qui se trouvait cantonné en Macédonie. Mais le plus gros de la correspondance n'avait pas été conservé, seules les cartes postales et trois lettres illustrées par des dessins avaient "survécues".
Ces cartes je les ai conservé précieusement et aujourd'hui j'avais envie de partager ces quelques missives avec vous.
Voici donc la première :
En campagne le 28 mai 1916
Yenni Kerri (Macédoine)
Mademoiselle,
Je viens de recevoir votre aimable lettre et quelle n'a pas été ma surprise quand j'ai relu les premières lignes. Oh! elle était bonne celle-là et je ne m'y attendais pas du tout. Aussi le lendemain même je me suis empressé d'aller remercier Mr Couprie de m'avoir aussi gentiment recommandé auprès de vous. Enfin la chose m'a été d'autant plus agréable qu'elle venait de la part d'un bon camarade.
Quant à l'impression produite par mon nom, je m'en doutais bien. Vous n'êtes pas la seule Mademoiselle et toutes les personnes qui me voient pour la première fois en sont là. Heureusement mon physique qui n'a rien de la tête carrée calme aussitôt les esprits et mes sentiments, je m'en vante avec fierté, sont loin d'être germanophiles. Bref je crois inutile d'insister puisque vous le dites si bien, qu'importe le nom si le coeur est français.
Vous me parlez Mademoiselle de mes parents et si je puis avoir de leurs nouvelles. Hélas non, ou du moins celles que j'ai et qui sont indirectes ne me suffisent guère. Il faut se contenter de ce que l'on a. Des parents à Marseille me renseignent quand ils le peuvent (toujours indirectement), de mon côté je puise à Salonique tout ce qu'il y a comme "canards" , car ça ne peut être autre chose, et de cette fusion j'en tire tout ce qui est rassurant et je me console.
Vous me dites que l'habitude est une deuxième nature. Vous avez fort raison Mademoiselle et j'ai d'aussi bonnes raisons que vous peut-être pour y croire. Enfin je compte à présent sur vos bonnes lettres pour tromper les mauvais jours et rendre les heures plus douces. Vous ne pouvez vous figurer combien une bonneet longue lettre encourage et avec quelle fièvre on les attend.
Grâce à Dieu, jusqu'à ce jour je n'ai pas été délaissé. Mes parents de France me donnent de l'espoir tant qu'ils peuvent. Je n'en doute pas nous sommes incontestablement les plus forts. Mais c'est égal la lettre d'une soeur ou d'une mèrec'est autre chose. Le coeur des femmes est toujours plus tendre, plus doux, comme elles savent trouver le mot, la phrase, qui vous fait sourire malgrévous, qui vous donne de la force et alors tout est oublié.
Une soeur, j'en ai une maintenant, aussi je compte sur elle pour tromper les durs instants que nous traversons. Durs, il faut s'entendre. Naturellement nous sommes bien loin d'être aussi malheureux que nos frères de Verdun, oh! bien loin. Les combats ne sont pas engagés, de rares bombardements, des marches pas bien nombreuses, et ma foi nous sommes des privilégiés (pour l'instant) mais ça viendra.
Je disais durs car nous sommes loin et cela y fait beaucoup. Ne parlons pas du cafard Mademoiselle, il est plus tenace que les Bulgares et redouble ses attaques. Ne trouvez-vous pas qu'il en faut de la patience ? Que c'est long ! Heureusement qu'étant interprète je suis un peu favorisé. Voilà près de deux mois que j'occupe ce poste et voudrais bien que la chose continue. Je suis assez tranquille et indépendant. Ce qui me permet d'employer mon temps à ma guise, chose très appréciable. Que serait-ce sans cela ?
J'ai vu aussi les mauvais mois de la Serbie mais comme simple poilu alors, quelle musique. Comme cela s'oublie aussi, c'est curieux heureusement. Enfin à Messieurs les Bocho-bulgares à battre un peu en retraite. Espérons que ça ne tardera et qu'on pourra rendre bientôt à ces pauvres Serbes une terre qui sera bien gagnée. En voilà encore qui en ont vu de dures. Et dire que bien d'entre eux ont perdu outre leurs biens, mais aussi leurs familles. Quel désastre tout de même.
Je suis heureux de savoir Monsieur votre frère un peu à l'abri, il me semble que ceux qui risquent depuis le début ont droit à quelques faveurs.
Hermann Wagner
A bientôt pour la prochaine, bises